COVID : à qui se fier ?
La crise sanitaire sans précédent que nous traversons est d’abord une grande remise en cause de la domination et de la maitrise de la réalité et de la nature par le progrès technique et le développement économique. C’est un choc de l’imprévu et de l’imprévisibilité. Le panel des incertitudes est total : origine du virus, capacité du virus à muter, modalités de la contagion, durée de l’immunité arrivée d’une seconde vague, délai d’ici à l’arrivée d’un vaccin, sans parler bien sûr des conséquences socio-économiques. Les temps que nous vivons sont inédits.
Où trouver de la certitude ? Les politiques de tous pays sont très conscients que leur parole institutionnelle est démonétisée, au point sans doute que cet épisode lui aura porté le coup de grâce. Leur mouvement naturel est donc de se reposer sur la communauté scientifique. Cela repose sur une vision unitaire de la science : Il est légitime de s’en remettre à ceux qui savent, et que la science soit convoquée par le pouvoir pour lutter contre l’épidémie.
Or, au sein même de la science, des controverses se multiplient. Sidéré, le public découvre que quelques spécialistes sont liés à des groupes pharmaceutiques. Puis, il entend dire que des traitements présentés comme miraculeux par tel ou tel ne reposent pas sur des études répondant aux règles du genre. Et pour couronner le tout, il entend un prix Nobel de médecine voler au secours d’un médecin que l’ordre des médecins menace de radiation. Cette confusion générale fait prospérer un complotisme parfois virulent. J’ai ainsi été copieusement insulté pour avoir osé écrire le mois dernier que j’étais bien incapable de savoir si la chloroquine est un remède efficace contre le virus. Le complotisme résulte toujours du désir éperdu de nier la complexité du monde pour lui opposer un simplisme consolateur et la fascination pour les « causes cachées ».
L’histoire de la médecine est pourtant l’illustration même de cette complexité. Elle n’est pas un répertoire de vérités absolues et définitives, ses théories peuvent être bouleversées par des découvertes nouvelles. Ce sont souvent les déviants qui font progresser la science, ce qui ne veut évidemment pas dire non plus que tout déviant est un génie. Aussi déstabilisantes qu’elles puissent être pour le grand public, ces controverses sont aussi nécessaires au progrès. Mais elles montrent aussi que même le recours à la science ne peut donner à la parole institutionnelle le fondement ou le crédit qui lui manquent. Dire que l’on va gouverner en se fondant sur l’expertise scientifique, c’est s’en remettre à des voix qui ne sont pas unanimes, mais discordantes.