Actu : la mort de Jeannot Michel, au confluent de deux calamités
La disparition tragique de Jeannot Michel, maire de Signes, écrasé par une camionnette en tentant de s’opposer à un dépôt sauvage de déchets du bâtiment, a résonné comme un coup de tonnerre dans le ciel de l’actualité nationale. J’ai éprouvé à cette nouvelle une vive tristesse, à l’échelle de l’estime que j’ai toujours portée à ce collègue : je le connaissais bien, siégeant depuis des années avec lui chaque mois au CODERST (conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques), lui au titre des maires du Var, moi au titre du Département. Il connaissait bien ces questions dont il était un défenseur compétent et passionné, et il en est mort. Pour qu’une telle chose ait pu se produire, il faut qu’aient pu se combiner deux calamités, qu’on sent monter depuis longtemps.
La première calamité tient évidemment dans le fait que la question des déchets issus de l’activité économique, et notamment du bâtiment, ne fait pas du tout l’objet d’un traitement global qui soit ne serait-ce que comparable à la filière des déchets ménagers, alors que nous parlons là de tonnages trois fois plus nombreux au moins que ceux des déchets ménagers. Business occultes, porosité avec les départements voisins, et surtout insuffisance des exutoires légaux, voilà ce qui explique la montée en puissance des dépôts sauvages et la montée des violences et des pressions sur ces questions. C’est bien parce que je suis conscient depuis longtemps de cette équation que j’ai pris la responsabilité de proposer un équipement multi-filières sur notre territoire : nous ne diminuerons pas les nuisances de ces dépôts sauvages sans en passer par la construction de sites aux normes. Or il est à noter que, si chacun déplore les nuisances en question, il se trouve aussi toujours du monde pour considérer que de tels sites sont certes nécessaires, mais ailleurs et le plus loin possible. On voit bien qu’à ce train-là on ne risque pas d’en sortir : et, même si on peut toujours dire que cela devrait être fait ailleurs et par d’autres, il est rationnellement impossible de dire que ce type d’équipement n’est pas nécessaire.
La seconde calamité tient à une atmosphère de banalisation d’un rejet des élus qui tourne parfois à la haine. Je suis maintenant en responsabilité depuis assez longtemps pour pouvoir mesurer que même dans nos villages ruraux, où tous ces phénomènes sont heureusement assourdis et où parfois un maire bénéficie encore d’une certaine considération, la tentation est de plus en plus forte, même ici, de se soulager sur les élus locaux de frustrations qui relèvent de l’organisation de la société en général et de la stagnation, voire de la baisse du niveau de vie de beaucoup.
Bien sûr, il fut un temps où certains élus se pensaient au-dessus du commun des mortels, et le retour du balancier va maintenant loin dans l’autre sens. Bien sûr, que les élus soient soumis à l’interpellation et à la critique, qu’ils rendent des comptes de façon transparente est une chose normale, et c’est un devoir que je m’applique à observer. On dit rituellement qu’un maire est « à portée d’engueulade », ce qui est encore une expression bon enfant, mais elle ne correspond plus vraiment à la réalité de certaines situations, je n’ai qu’à regarder ma page Facebook chaque soir pour m’en apercevoir. La violence qui s’est développée en marge du mouvement des gilets jaunes (ce qui ne veut pas dire que je réduis ce mouvement à ces outrances) a franchi un certain nombre de lignes rouges en la matière : quasi-appels au meurtre, mises à sac de permanences de parlementaires, menaces physiques aux familles des élus. On entend aujourd’hui au sujet des élus pris en général et sans aucune nuance ni distinction des choses qui ne pourraient être dites au sujet d’aucune sorte de groupe humain, qu’il s’agisse de critères ethniques, ou liés à l’orientation sexuelle, ou au genre. Parce que chacun renonce à lutter contre le discrédit de tout ce qui est institutionnel, on a laissé les élus (au même titre, selon les époques que les forces de l’ordre, sauf évidemment juste après le Bataclan) devenir des parias de la société. Cela mène au point où un jour un chauffard en marche arrière prend sciemment le risque d’écraser un maire. Le résultat devrait tout de même faire réfléchir deux minutes. Quand plus personne, comme c’est le cas dans un nombre croissant de communes françaises, ne voudra se présenter à une élection municipale, je ne suis pas sûr que la démocratie s’en trouvera renforcée.